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Foucault - Tome II, 072. Préface à l'édition anglaise

by 상겔스 2024. 6. 25.
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«Foreword to the English Edition > (< Préface à l'édition anglaise»; trad. F. Durand- Bogaert), in Foucault (M.), The Order of Things, Londres, Tavistock, 1970, pp. IX-XTV.

 


Il faudrait peut-être intituler cette préface < mode d’emploi >. Non qu’à mes yeux le lecteur ne soit pas digne de confiance - libre à lui, bien entendu, de faire ce qu’il veut du livre qu’il a eu l’amabilité de lire. Quel droit ai-je donc de suggérer qu’on fesse de ce livre un usage plutôt qu’un autre? De nombreuses choses, alors que je l’écrivais, n’étaient pas claires pour moi : certaines semblaient trop évidentes, d’autres, trop obscures. Je me suis donc dit : void comment mon lecteur idéal aurait abordé mon livre si mes intentions avaient été plus daires et mon projet mieux à même de prendre forme.
1) Il reconnaîtrait qu’il s’agit là d’une étude dans un champ relativement négligé. En France, au moins, l’histoire de la sdence et de la pensée cède le pas aux mathématiques, à la cosmologie et à la physique - sciences nobles, sciences rigoureuses, sdences du nécessaire, toutes proches de la philosophie : on peut lire, dans leur histoire, l’émergence quasi ininterrompue.de la.vérité et de la raison pure. Mais on considère les autres disdplines — celles, par exemple, qui concernent les êtres vivants, les langues ou les faits économiques — comme trop teintées de la pensée empirique, trop exposées aux caprices du hasard ou des figures de la rhétorique, aux traditions séculaires et aux événements extérieurs, pour qu’on leur suppose une histoire autre qu’irrégulière. On attend d’elles, tout au plus, qu’elles témoignent d’un état d’esprit, d’une mode intellectuelle, d’un mélange d’archaïsme et de supputation hardie, d’intuition et d’aveuglement. Et si le savoir empirique, à ime époque et dans ime culture données, possédait effectivement une régularité bien définie? Si la possibilité même d’enregistrer des faits, de s’en laisser convaincre, de les gauchir en traditions ou d’en faire un usage purement spéculatif, si même cela n’était pas soumis au hasard? Si les erreurs (et les vérités), la pratique des vieilles croyances — au nombre desquelles comptent non seulement les vraies découvertes, mais aussi les idées les plus naïves —, si tout cela obéissait, à un moment donné, aux lois d’un certain code de savoir? Si, en bref, l’histoire du savoir non formalisé possédait elle-même un système? Telle a été mon hypothèse de départ — le premier risque que j’ai pris.
2) Ce livre doit être lu comme une étude comparée, et non comme une étude symptomatologique. Mon intention n’a pas été, à partir d’un type particulier de savoir ou d’un corpus d’idées, de brosser le portrait d’une période ou de reconstituer l’esprit d’un siècle. J’ai voulu présenter, les uns à côtés des autres, un nombre bien précis d’éléments — la connaissance des êtres vivants, la connaissance des lois du langage et la connaissance des faits économiques — et les relier au discours philosophique de leur temps, pendant une période qui s’étend du xvne au XIXe siècle. Cela ne devait pas être une analyse du classicisme en général ou la recherche d’une Weltanschauung, mais une étude strictement < régionale > '.
Mais, entre autres choses, cette méthode comparative produit des résultats qui sont souvent étonnamment différents de ceux que livrent les études unidisciplinaires. (Le lecteur ne doit donc pas s’attendre à trouver ici juxtaposées une histoire de la biologie, une histoire de la linguistique, une histoire de l’économie politique et une histoire de la philosophie.) Certaines choses ont pris le pas sur d’autres : le calendrier des saints et des héros a été quelque peu modifié (une place plus grande est faite à Linné qu’à Buffon, à Destutt de Tracy qu’à Rousseau ; Cantillon à lui seul s’oppose à tous les physiocrates). Les frontières ont été redessinées, des rapprochements opérés entre choses habituellement distinctes, et inversement : au lieu de relier les taxinomies biologiques à un autre savoir concernant l’être vivant (la théorie de la germination, ou la physiologie du mouvement animal, ou encore la statique des plantes), je les ai comparées à ce qu’on aurait pu dire, à la même époque, des signes linguistiques, de la formation des idées générales, du langage d’action, de la hiérarchie des besoins et de l’échange des marchandises.
Cela a eu deux conséquences : j’ai d’abord été conduit à abandonner les grandes classifications qui nous sont à tous, aujourd’hui, familières. Je ne suis pas allé chercher, dans le xvne et dans le xviii'siècle, les commencements de la biologie du xixe (ou de la philosophie, ou de l’économie). Mais j’ai vu l’émergence de figures propres à l’âge classique : une < taxinomie > ou une < histoire naturelle > relativement peu contaminée par le savoir qui existait alors dans la physiologie animale ou végétale; une < analyse des richesses > qui se souciait peu des postulats de l’< arithmétique politique > qui lui était contemporaine ; enfin, une < grammaire générale > qui n’avait rien de commun avec les analyses historiques et les travaux d’exégèse que l’on poursuivait simultanément. Il s’agissait, en fait, de figures épistémologiques qui n’étaient pas surimposées aux sciences telles qu’elles furent individualisées et nommées au xixe siècle. J’ai vu aussi l’émergence, entre ces différentes figures, d’un réseau d’analogies transcendant les proximités traditionnelles : entre la classification des plantes et la théorie de la frappe des monnaies, entre la notion de caractère générique et l’analyse des échanges commerciaux, on trouve, dans les sciences de l’époque classique, des isomorphismes qui semblent faire fi de l’extrême diversité des objets considérés. L’espace du savoir, à l’âge classique, est organisé d’une manière entièrement différente de celle, systématisée par Comte ou Spencer, qui domine le xixe siècle. C’est là le second risque que j’ai pris : avoir choisi de décrire non pas tant la genèse de nos sciences qu’un espace épistémologique propre à une période particulière.

1. J’utilise parfois des termes comme < pensée » ou < science classique », mais ils renvoient presque toujours à la discipline particulière qui est examinée.

3) En conséquence, je n’ai pas opéré au niveau qui est habituellement celui de l’historien des sciences — je devrais dire aux deux niveaux qui sont habituellement les siens. D’un côté, en effet, l’histoire de la science retrace le progrès des découvertes, la formulation des problèmes, enregistre le tumulte des controverses; elle analyse aussi les théories dans leur économie interne ; bref, elle décrit les processus et les produits de la conscience scientifique. De l’autre côté, cependant, elle tente de restituer ce qui a échappé à cette conscience : les influences qui l’ont marquée, les philosophies implicites qui la sous-tendent, les thématiques non formulées, les obstacles invisibles; elle décrit l’inconscient de la science. Cet inconscient est toujours le versant négatif de la science — ce qui lui résiste, la fait dévier ou la trouble. Je voudrais, quant à moi, mettre au jour un inconscient positif du savoir : un niveau qui échappe à la conscience du chercheur, et pourtant fait partie du discours scientifique, au lieu qu’il conteste sa validité et cherche à amoindrir sa nature scientifique. Ce que l’histoire naturelle, l’économie et la grammaire de l’époque classique avaient en commun n’était certainement pas présent à la conscience du scientifique; ou alors, la part de conscience était superficielle, limitée, et presque de pure fantaisie (Adanson, par exemple, rêvait d’établir une dénomination artificielle des plantes; Turgot comparait la frappe des monnaies au langage) ; mais, sans qu’ils en eussent conscience, les naturalistes, les économistes et les grammairiens utilisaient les mêmes règles pour définir les objets propres à leur champ d’étude, pour former leurs concepts, construire leurs théories. Ce sont ces règles de formation, qui n’eurent jamais de formuladon distincte et ne se perçoivent qu’à travers des théories, des concepts et des objets d’étude extrêmement différents, que j’ai essayé de mettre au jour, en isolant, comme leur lieu spécifique, un niveau que j’ai appelé, peut-être de manière un peu arbitraire, archéologique. En prenant comme exemple la période couverte par ce livre, j’ai essayé de déterminer le fondement ou système archéologique commun à toute une série de < représentations > ou de < produits > scientifiques dispersés à travers l’histoire naturelle, l’économie et la philosophie de l’âge classique.
4) J’aimerais que le lecteur pénètre dans ce livre comme dans un site ouvert. De nombreuses questions y ont été posées, qui n’ont pas encore trouvé de réponses; et, parmi les lacunes, nombreuses sont celles qui renvoient soit à des travaux antérieurs, soit à des travaux qui ne sont pas encore achevés, ou même commencés. Mais je voudrais évoquer trois problèmes.
Le problème du changement. On a dit de ce livre qu’il niait la possibilité même du changement. La question du changement est pourtant ce qui a constitué mon soud prindpal. En fait, deux choses en particulier m’ont frappé : d’une part, la manière soudaine et radicale avec laquelle certaines sdences ont parfois fait l’objet d’une réorganisation; et, d’autre part, le fait qu’à la même époque des changements similaires sont intervenus dans des disdplines en apparence très différentes. En l’espace de quelques années (autour de 1800), on a remplacé la tradition de la grammaire générale par une philologie essentiellement historique; ordonné les dassifications naturelles selon les analyses de l’anatomie comparée; fondé une économie politique dont les thèmes prindpaux étaient le travail et la production. Face à une combinaison aussi surprenante de phénomènes, il m’est apparu qu’il fallait examiner ces changements de plus près, sans chercher, au nom de la continuité, à réduire leur soudaineté ou à restreindre leur portée. Il m’a semblé, au départ, qu’il s’opérait à l’intérieur du discours sdentifique différents types de changement — des changements qui n’intervenaient pas au même niveau, ne progressaient pas au même rythme et n’obéissaient pas aux mêmes lois; la manière dont, à l’intérieur d’une sdence particulière, de nouvelles propositions s’élaboraient, de nouveaux faits étaient isolés et de nouveaux concepts forgés (autant d’événements qui font la vie quotidienne d’une science) ne ressortissait pas, selon toute probabilité, au même modèle que l’apparition de nouveaux champs d’étude (et la disparition souvent concomitante des anciens); mais l’apparition de nouveaux champs d’étude, à son tour, ne doit pas être confondue avec ces redistributions globables qui modifient non seulement la forme générale d’une science, mais aussi ses rapports avec d’autres domaines du savoir. Il m’a semblé, en conséquence, qu’il ne fallait ni réduire tous ces changements à un même niveau, ni les faire se rejoindre en un seul point, ni davantage les rapporter au génie d’un individu, ou d’un nouvel esprit collectif, ou même à la fécondité d’une seule découverte; qu’il serait mieux de respecter ces différences, et même d’essayer de les saisir dans leur spécificité. C’est dans cet esprit que j’ai entrepris de décrire la combinaison des transformations concomitantes à la naissance de la biologie, de l’économie politique, de la philologie, d’un certain nombre de sciences humaines et d’un nouveau type de philosophie à l’orée du XIXe siècle.
Le problème de la causalité. Il n’est pas toujours aisé de déterminer ce qui a entraîné un changement spécifique à l’intérieur d’une science. Qu’est-ce qui a rendu cette découverte possible? Pourquoi ce nouveau concept est-il apparu? D’où est venue cette théorie? Et celle-là? De telles questions sont souvent extrêmement embarrassantes, car il n’existe pas de principes méthodologiques bien définis sur lesquels on puisse fonder ce genre d’analyses. L’embarras augmente dans le cas de changements généraux qui transforment une science globalement. Il s’accroît encore dans le cas où l’on a affaire à plusieurs changements qui se correspondent. Mais là où il atteint sans doute son comble, c’est dans le cas des sciences empiriques, car si le rôle des instruments, des techniques, des institutions, des événements, des idéologies et des intérêts y est tout à fait manifeste, on ne sait pas comment opère vraiment une articulation à la fois aussi complexe et diversement composée. Il m’est apparu qu’il ne serait pas prudent, pour le moment, d’imposer une solution que je me sentais incapable, je l’admets, de proposer : les explications traditionnelles - l’esprit du temps, les changements technologiques ou sociaux, les influences de toutes sortes - m’ont paru, pour la plupart, plus magiques qu’effectives. J’ai donc, dans ce livre, laissé de côté le problème des causes 1 pour choisir de me limiter à la description des transformations elles-mêmes, considérant que cela constituerait une étape indispensable si une théorie du changement scientifique et de la causalité épistémologique devait, un jour, prendre forme.
1. J’ai abordé cette question en rapport avec la psychiatrie et la médecine clinique dans deux ouvrages antérieurs.

Le problème du sujet. En distinguant entre le niveau épistémologique du savoir (ou de la conscience scientifique) et le niveau archéologique, j’ai conscience de m’engager dans une voie très difficile. Peut-on parler de la science et de son histoire (et donc de ses conditions d’existence, de ses transformations, des erreurs qu’elle a commises, des avancées soudaines qui l’ont projetée dans une direction nouvelle) sans faire référence au scientifique lui-même — et je parle non seulement de l’individu concret représenté par un nom propre, mais de son oeuvre et de la forme particulière de sa pensée? Peut-on envisager, avec quelque validité, une histoire de la science qui retracerait du début à la fin tout le mouvement spontané d’un corps de savoir anonyme? Est-il légitime, est-il même utile de remplacer le traditionnel < X pensait que... > par un < on savait que... >? Mais là n’est pas exactement le projet que je me suis donné. Je ne cherche pas à nier la validité des biographies intellectuelles, ou la possibilité d’une histoire des théories, des concepts ou des thèmes. Je me demande simplement si de telles descriptions sont en elles-mêmes suffisantes, si elles rendent justice à l’extraordinaire densité du discours scientifique, s’il n’existe pas, hors de leurs frontières habituelles, des systèmes de régularité qui jouent un rôle décisif dans l’histoire des sciences. J’aimerais savoir si les sujets responsables du discours scientifique ne sont pas déterminés dans leur situation, leur fonction, leur capacité de perception et leurs possibilités pratiques par des conditions qui les dominent, et même les écrasent. En bref, j’ai essayé d’explorer le discours scientifique non pas du point de vue des individus qui parlent ni du point de vue des structures formelles qui régissent ce qu’ils disent, mais du point de vue des règles qui entrent en jeu dans l’existence même d’un tel discours ; quelles conditions Linné (ou Petty, ou Arnauld) devait-il remplir non pas pour que son discours soit, d’une manière générale, cohérent et vrai, mais pour qu’il ait, à l’époque où il était écrit et reçu, une valeur et une application pratiques en tant que discours scientifique - ou, plus exactement, en tant que discours naturaliste, économique ou grammatical?
Sur ce point aussi, je suis bien conscient de n’avoir pas beaucoup progressé. Mais je ne voudrais pas que l’effort que j’ai accompli dans une direction fût pris comme un rejet de toutes les autres approches possibles. Le discours en général, et le discours scientifique en particulier, constitue une réalité si complexe qu’il est non seulement possible, mais nécessaire de l’aborder à des niveaux différents et selon des méthodes différentes. S’il est une approche, pourtant, que je rejette catégoriquement, c’est celle (appelons-la, en gros, phénoménologique) qui donne une priorité absolue au sujet de l’observation, attribue un rôle constitutif à un acte et pose son point de vue comme origine de toute historicité — celle, en bref, qui débouche sur une conscience transcendantale. Il me semble que l’analyse historique du discours scientifique devrait, en dernier lieu, ressortir à une théorie des pratiques discursives plutôt qu’à une théorie du sujet de la connaissance.
5) Je voudrais, pour terminer, adresser une prière au lecteur de langue anglaise. En France, certains < commentateurs > bornés persistent à m’apposer l’étiquette de < structuraliste >. Je n’ai pas réussi à imprimer dans leur esprit étroit que je n’ai utilisé aucune des méthodes, aucun des concepts ou des mots clefs qui caractérisent l’analyse structurale. Je serais reconnaissant à un public plus sérieux de me libérer d’une association qui, certes, me feit honneur, mais que je n’ai pas méritée. Il se peut qu’il existe certaines similitudes entre mon travail et celui des structuralistes. Il me siérait mal — à moi plus qu’à tout autre - de prétendre que mon discours est indépendant de conditions et de règles dont je suis, pour une bonne part, inconscient, et qui déterminent les autres travaux effectués aujourd’hui. Mais il n’est que trop facile de se soustraire à la tâche d’analyser un tel travail en lui apposant une étiquette ronflante mais inadéquate.

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