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프로젝트 7 : 미셸 푸코의 Dits et Ecrits 번역 작업/Dits et Ecrits 1권

Michel Foucault, dits et ecrits, tome I, 018. Un « nouveau roman » de terreur

by 상겔스 2024. 6. 25.
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18 Un « nouveau roman » de terreur


« Un “nouveau roman” de terreur », France-Observateur, 14e année, n° 710, 12 décembre 1963, p. 14. (Sur J.-É. Hallier, Les Aventures d’une jeune fille, Paris, Éd. du Seuil, 1963.)

On n’écrit plus beaucoup de romans de terreur. Celui de Jean-Édern Hallier ne pouvait passer inaperçu. Mais il devait faire naître autour de lui cet embarras un peu volubile qu’on éprouve devant l’étrange familiarité : des reconnaissances qui rassurent (Le Grand Meaulnes*), des parentés qui situent (Proust, bien entendu), des thèmes sans âge. Le reste serait jeu de construction subtil, un peu obscur, froid, impertinent, subversif.

Je veux bien subversif, comme pouvaient l’être L’Île mystérieuse** ou Le Fantôme de l’Opéra*** – l’histoire d’un grand navire sombrant à l’intérieur de soi : là, en cette caverne où il est pris, en cette cavité qui est l’expansion absolue de son secret, il libère ses pouvoirs violents de métamorphose.

Comme en tout roman de terreur, la « jeune fille » commence par disparaître – par avoir déjà disparu. En cette faille (un couvert déplacé sur une table, une chaise qu’un enfant a repoussée), le langage se précipite, inaugurant une tâche orphique où il est essentiel de « perdre » : égarer ceux qu’on guide, laisser échapper la jeune fille évanouie, être dépouillé de sa mise, se contraindre indéfiniment à recommencer. Au centre de la demeure qui est le lieu du roman (son espace, non son décor), un escalier en volutes et la corde qui dessine sa spire assurent le plongeon et la remontée, à moins qu’ils ne tiennent étranglé un noyé pensif et pendu ; leur hélice solennelle et visible fonctionne comme un Nautilus. C’est le long de sa courbe indéfinie que les temps se superposent, que les images s’appellent sans se rencontrer jamais. Forme de la torsade qui réunit le surplomb, les évanouissements, les répétitions, la continuité.

Ce vestige figé ramasse l’étalement immobile de la demeure et J’événement nu de la disparition. Celle-ci, on ne peut en retrouver le secret qu’en la répétant dans une sorte de messe qui dit à chaque instant que le Dieu est mort. Un officiant (prêtre-prophète-enquêteur) organise la scène rituelle et promet dans une imminence sans fin l’apparition de la disparue, sa disparition apparente… Il a aménagé un théâtre au centre du château qui suscite entre la demeure et la disparition les figures toujours déçues du double.

Théâtre, « pièce » centrale du roman en un quadruple sens : scènes à répéter, chambre dans une maison, élément d’une machine, figure sur un échiquier. Il fonctionne d’une façon systématiquement contradictoire. Instrument du fantastique, de l’absolu voyage (il se métamorphose en fusée stellaire), fonction du longitudinal à l’infini, il est aussi bien la forme perverse des identités latérales ; il confond ce qui se juxtapose : l’acteur avec celui qu’il représente, le spectateur avec l’acteur, l’enquêteur avec le spectateur – le coupable peut-être avec le détective. Il ronge tout le château qui n’est plus de cette fiction que le décor, les coulisses, l’immense praticable, la machinerie en alerte. Il fait tourbillonner tout l’espace des aventures, des autres, du temps et des images autour de l’axe vertical du double. Axe qui régit les volutes et les spires, ne les réduit jamais.

De là se déchiffre un ordre calculé. Les trois moments du temps (le petit garçon et sa compagne ; le jeune homme et la jeune fille ; l’enquêteur et la place vide) ne sont pas répartis dans les trois actes du roman ; ils s’y superposent à chaque instant. C’est qu’ils ne sont pas dissociables, pris dans le jeu de deux figures extrêmes : celle du précepteur dans la bibliothèque où il fait la lecture à deux enfants (c’est toujours la même page qui est ouverte et tous les livres, à côté, disparaissent peu à peu : un seul demeure, celui-ci tel que vous le lisez) et l’image de la barque qui chavire sur l’étang (mais pourquoi et comment ?) avec sa passagère.

La première de ces figures, c’est l’arc du langage imaginaire ; la seconde, resserrée sur l’événement, c’est la flèche de ce qui ne peut être dit. Leur croisement d’or, leur perpendicularité, qui ne dure pas, mais se maintient sans fin, prescrit le temps du livre : temps de l’incidence et de la répétition, temps de l’inachevé et de l’origine perdue. Imparfait.

En cette imminence de l’arc et de la flèche, les « aventures » apparaissent ; il faut entendre que vient au jour, diffractée à l’infini, sans cesse répétée, l’unique aventure de la jeune fille, sa disparition. Sa seule manière de « s’aventurer », c’est d’apparaître dans l’absolue distance. La réserve du détective, la patience du narrateur (c’est du même acharnement qu’il s’agit) creusent pour toujours cette galerie ouverte, leur entêtement à découvrir leur impose de disparaître dans les images qu’ils font émerger et de réapparaître de l’autre côté (du côté de ce qui a disparu).

La terreur, d’ordinaire, est figurée par l’approche de l’impossible. Ici, elle se donne dans l’immobilité, mieux : dans la distance qui croît ; ses formes familières (le hibou, les archers dans la clairière) se dessinent dans un lointain sans mesure. Et, dans le vide laissé par l’apaisement central, de belles images se lèvent, rassérénées, suspendues : un enfant avec un panier de fleurs, des jeunes gens qui chuchotent, la nuit, dans les corridors. Mais, à la périphérie du texte, une terreur en acte s’exerce silencieusement : dans la parenté louche du détective et du narrateur, dans le rapport du langage à ce qu’il raconte, dans son lien (à la première et à la troisième personne) avec celui qui l’écrit, dans la proximité et la rage tyrannique par quoi cette très belle, très savante prose de la distance s’est faite œuvre et texte. Le roman de Jean-Édern Hallier, c’est la terreur repoussée des plages visibles du livre où seules l’indiquent quelques pierres blanches, mais souverainement et sournoisement établie dans l’épaisseur du langage, dans son rapport à soi. Ce livre est un acte paradoxal de terreur critique.

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