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프로젝트 7 : 미셸 푸코의 Dits et Ecrits 번역 작업/Dits et Ecrits 1권

Michel Foucault, dits et ecrits, tome I, 044. Message ou bruit ?

by 상겔스 2024. 6. 25.
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44 Message ou bruit ?


« Message ou bruit ? », Concours médical, 88e année, 22 octobre 1966, pp. 6285-6286. (Colloque sur la nature de la pensée médicale.)

Pour « situer » la médecine parmi les autres formes de savoir on était habitué jusqu’ici à des schémas linéaires. Au-dessus du corps, l’âme ; au-dessous du niveau de l’organisme, les tissus. Donc, la médecine tenait par un bout à la psychologie, psychopathologie, etc., et par l’autre à la physiologie. Or les débats que je viens de lire font apparaître de nouvelles parentés, diagonales ou latérales. Des problèmes se posent en médecine, qui semblent isomorphes à ceux qu’on peut rencontrer ailleurs, si singulièrement dans les disciplines qui s’occupent soit du langage, soit de ce qui fonctionne comme le langage. Ces disciplines n’ont sans doute pas de « relation d’objet » avec la médecine ; mais celle-ci, entendue comme théorie-et-pratique, leur est peut-être structurellement analogue.

On dit, on répète, depuis Balint, que le malade envoie un ou des « messages » que le médecin écoute et interprète. Cela permet bien des humanismes bénisseurs sur le thème douteux du « couple médecin-malade ».

En fait, pour qu’il y ait « message », il faut :

– qu’il y ait d’abord du bruit (dans le cas de la médecine, ce bruit primordial, c’est le « non-silence des organes ») ;

– que ce bruit soit « constitué par » ou du moins « porteur de » divers éléments discontinus, c’est-à-dire isolables les uns des autres par des critères certains ;

– que ces éléments soient associés, d’une façon constante, à d’autres éléments qui en constituent le sens (pour la médecine, ce peut être la « maladie », ou le « pronostic », ou l’indication thérapeutique) ;

– enfin, que ces éléments se présentent liés les uns aux autres selon certaines régularités.

Or la maladie n’envoie pas de « message », puisque le message dépend d’un « code » établi selon les règles précédentes. Il n’y a pas de code dans la nature, aussi dénaturée qu’elle soit. La maladie se contente de « faire du bruit », et c’est déjà bien beau. Tout le reste, c’est la médecine qui le fait ; elle en fait bien plus qu’elle ne consent elle-même à le croire.

On pourrait sans doute analyser ses opérations à trois niveaux.





CONSTITUTION D’UN CODE


Depuis un siècle et demi (et surtout pas depuis Hippocrate, le malheureux), l’expérience clinique a isolé, dans le bruit fait par la maladie, un certain nombre de traits, qui permettent de définir les éléments qui peuvent faire partie d’un « message pathologique ». Elle a donc :

– laissé tomber un certain nombre de bruits considérés comme non pertinents ;

– défini les caractères qui permettent de reconnaître les éléments du message et de les individualiser ;

– posé les règles de substitution qui permettent de « traduire » le message.

Bien sûr, ce code ne cesse de changer :

– quand ce sont les règles de substitution qui changent, on dit que les « connaissances médicales » progressent ;

– quand ce sont les principes d’individualisation des éléments du message, on dit que les « méthodes d’observation » se sont perfectionnées ;

– quand on se met à définir des éléments de message, là où on n’entendait que du bruit, c’est que la médecine s’est adjoint de nouveaux domaines.

Les premiers changements sont fréquents, les deuxièmes plus rares, les troisièmes, exceptionnels. Freud a fait des énoncés verbaux des malades, considérés jusque-là comme du bruit, quelque chose qui devait être traité comme un message. Désormais (et, bien sûr, avec des codes différents), les diverses formes de médecine ont entendu, comme messages, les verbalisations des malades.

Ne pas dire, donc qu’il y a deux messages, mais :

– un bruit dans lequel, maintenant, on entend beaucoup plus d’éléments de message qu’autrefois (toute une partie du bruit, autrefois assourdie, se met à parler) ;

– mais ce gain sur le bruit n’a pas encore pu être assuré par un code unique et, peut-être, ne le sera-t-il jamais. Peut-être aussi fera-on un nouveau gain, mais grâce à un nouveau code, etc. Puisque la maladie n’a rien à dire, il n’y a pas de raison qu’un seul code arrive à « informer » tout ce bruit. Cette première opération théorique est faite – et a été faite depuis le début du XIXe siècle – par toute la médecine, prise comme corpus de savoir et comme institution. Ce sont ses règles que les étudiants apprennent à la faculté et à l’hôpital.





ÉCOUTE DU MESSAGE


Dans sa pratique, le médecin a affaire, non pas à un malade, certes, mais pas non plus à quelqu’un qui souffre, et surtout pas, Dieu merci, à un« être humain ». Il n’a affaire ni au corps, ni à l’âme, ni aux deux à la fois, ni à leur mélange. Il a affaire à du bruit. À travers ce bruit, il doit entendre les éléments d’un message. Pour l’entendre, il faut :

– qu’il élimine le bruit, qu’il se bouche les oreilles à tout ce qui n’est pas élément du message ;

– qu’il reconnaisse (les deux opérations sont évidemment corrélatives) les traits distinctifs de chaque élément ;

– et qu’il les enregistre à mesure qu’ils se présentent. Or, ici, il y a un problème.

La différence entre un médecin et un vice-consul de chancellerie, c’est que celui-ci attend la fin du message, qui est lui-même codé, alors que le médecin ne peut pas, et ne doit pas attendre la fin du bruit qu’est la maladie, c’est-à-dire la guérison ou la mort. D’où l’obligation, après un certain temps d’écoute, de se mettre à traduire (encore une fois, cette traduction peut être une simple prescription). La difficulté du diagnostic se situe là, même s’il faut entendre par « diagnostic » la réponse la plus élémentaire du médecin au message de la maladie.





UTILISATION DES MODÈLES


Pour traduire le message le plus tôt possible, il faut utiliser des modèles, c’est-à-dire des formes (configurations ou séquences de signaux déjà entendus). Ces modèles peuvent être de deux sortes, et doivent être de deux sortes :

– ceux qui permettent de trier parmi les éléments du message, ceux qui relèvent des différents niveaux fonctionnels (le psychisme, ou la lésion organique, ou l’adaptation physiologique). On fait intervenir à ce moment-là un modèle « grammatical », permettant de distinguer les grandes catégories auxquelles peuvent appartenir les signaux ;

– ceux qui permettent de risquer une traduction, c’est-à-dire de mettre les éléments du message en corrélation avec les éléments d’une maladie déjà définie.

Ces modèles du second type, ils peuvent à leur tour être utilisés de deux manières :

– ou bien, on est sûr que le message appartient à une classe peu nombreuse, et que le nombre de modèles auxquels il peut obéir n’est pas très considérable. Alors, on peut considérer que tous les modèles de cette classe sont équipotentiels et choisir comme « interprétant » celui qui a la meilleure corrélation avec le message enregistré. C’est le diagnostic du « spécialiste » ;

– ou bien (c’est ce qui se passe pour l’omnipraticien), la classe à laquelle appartient le message est, non pas théoriquement, mais pratiquement infinie. D’où choix d’un modèle qu’on privilégie, à cause d’une plus grande probabilité (en raison de facteurs internes ou externes), quitte à l’abandonner, ou le rectifier, ou à le préciser.

On peut se demander si la théorie de la pratique médicale ne pourrait pas être repensée dans les termes qui ne sont plus ceux du positivisme, mais dans ceux qui élaborent actuellement des pratiques comme l’analyse des langues, ou les traitements de l’information.

À quand un « séminaire » qui réunira médecins et théoriciens du langage et de toutes les sciences qui s’y rattachent ?

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