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프로젝트 7 : 미셸 푸코의 Dits et Ecrits 번역 작업/Dits et Ecrits 1권

Michel Foucault, dits et ecrits, tome I, 051. Les mots et les images

by 상겔스 2024. 6. 25.
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51 Les mots et les images


« Les mots et les images », Le Nouvel Observateur, n° 154, 25 octobre 1967, pp 49-50. (Sur E. Panofsky, Essais d’iconologie, Paris, Gallimard, 1967, et Architecture gothique et Pensée scolastique, Paris, Éd. de Minuit, 1967.)

Qu’on pardonne mon peu de compétence. Je ne suis pas historien de l’art. De Panofsky, jusqu’au mois dernier, je n’avais rien lu. Deux traductions paraissent simultanément : les fameux Essais d’iconologie, parus voilà bientôt trente ans (ce sont cinq études sur la Renaissance, précédées et reliées entre elles par une importante réflexion de méthode ; Bernard Teyssèdre en présente l’édition française), et deux études sur le Moyen Âge gothique, réunies et commentées par Pierre Bourdieu.

Après de si longs délais, cette simultanéité frappe. Je suis mal placé pour dire le bénéfice que les spécialistes pourront tirer de cette publication si longtemps souhaitée. En panofskien néophyte, et bien sûr enthousiaste, j’expliquerai le destin du maître par les paroles du maître, et je dirai que le bénéfice sera grand : ces traductions vont chez nous transformer la lointaine et étrangère iconologie en habitus ; pour les apprentis historiens, ces concepts et méthodes cesseront d’être ce qu’il faut apprendre et deviendront ce à partir de quoi on voit, on lit, on déchiffre, on connaît.

Mais je ne m’avancerai pas. Je voudrais dire seulement ce que j’ai trouvé de nouveau dans ces textes qui, pour d’autres, sont déjà classiques : le déplacement auquel ils nous invitent et qui risque, je l’espère, de nous dépayser.

Un premier exemple : l’analyse des rapports entre le discours et le visible.

Nous sommes convaincus, nous savons que tout parle dans une culture : les structures du langage donnent leur forme à l’ordre des choses. Autre version (très féconde, on le sait) de ce postulat de la souveraineté du discours que supposait déjà l’iconographie classique. Pour Émile Mâle, les formes plastiques, c’étaient des textes investis dans la pierre, dans des lignes ou dans des couleurs ; analyser un chapiteau, une enluminure, c’était manifester ce que « ça voulait dire » : restaurer la parole là où, pour parler plus directement, elle s’était dépouillée de ses mots. Panofsky lève le privilège du discours. Non pour revendiquer l’autonomie de l’univers plastique, mais pour décrire la complexité de leurs rapports : entrecroisement, isomorphisme, transformation, traduction, bref, tout ce feston du visible et du dicible qui caractérise une culture en un moment de son histoire.

Tantôt, des éléments de discours se maintiennent comme des thèmes à travers les textes, les manuscrits recopiés, les œuvres traduites, commentées, imitées ; mais ils prennent corps dans des motifs plastiques qui, eux, sont soumis aux changements (à partir du même texte d’Ovide, l’enlèvement d’Europe est baignade dans une miniature du XIVe siècle, rapt violent chez Dürer) ; tantôt, la forme plastique s’arrête, mais accueille une succession de thèmes divers (la femme nue qui est Vice au Moyen Âge devient Amour dépouillé, donc pur, vrai et sacré, au XVIe siècle). Le discours et la forme bougent l’un par rapport à l’autre. Mais ils ne sont point indépendants : quand la Nativité n’est plus représentée par une femme en couches, mais par une Vierge agenouillée, c’est l’accent mis sur le thème de la Mère du Dieu vivant, mais c’est aussi la substitution d’un schéma triangulaire et vertical à une organisation en rectangle. Il arrive enfin que le discours et la plastique soient soumis tous deux, comme par un mouvement unique, à une seule disposition d’ensemble. Le discours scolastique, au XIIe siècle, rompt avec la longue coulée continue des preuves et des discussions : les « sommes » font apparaître leur architecture logique, en spatialisant aussi bien l’écriture que la pensée : divisions en paragraphes, subordination visible des parties, homogénéité des éléments de même niveau ; visibilité, donc, de l’ensemble de l’argument. À la même époque, l’ogive rend perceptible la nervure de l’édifice ; substitue à la grande continuité du berceau le cloisonnement des travées ; donne même structure à tous les éléments qui ont fonction identique. Ici et là, un seul et même principe de manifestation.

Le discours n’est donc pas le fond interprétatif commun à tous les phénomènes d’une culture. Faire apparaître une forme, ce n’est pas une manière détournée (plus subtile ou plus naïve, comme on voudra) de dire quelque chose. Tout dans ce que font les hommes n’est pas, en fin de compte, un bruissement déchiffrable. Le discours et la figure ont chacun leur mode d’être ; mais ils entretiennent des rapports complexes et enchevêtrés. C’est leur fonctionnement réciproque qu’il s’agit de décrire.

Autre exemple : l’analyse, dans les Essais d’iconologie, de la fonction représentative de la peinture.

Jusqu’au bout du XXe siècle, la peinture occidentale « représentait » : à travers sa disposition formelle, un tableau avait toujours rapport à un certain objet. Problème inlassablement repris de savoir ce qui, de cette forme ou de ce sens, détermine l’essentiel d’une œuvre. Panofsky, lui, substitue à cette opposition simple l’analyse d’une fonction représentative complexe qui traverse, avec des valeurs différentes, toute l’épaisseur formelle du tableau.

Ce que représente un tableau du XVIe siècle est présent en lui selon quatre modes. Les lignes et les couleurs figurent des objets hommes, animaux, choses, dieux –, mais toujours selon les règles formelles d’un style. Il y a dans les tableaux d’une époque des emplacements rituels qui permettent de savoir si l’on a affaire à un homme ou à un ange, à une apparition ou à une réalité ; ils indiquent aussi des valeurs expressives – colère d’un visage, mélancolie d’une forêt –, mais selon les règles formelles d’une convention (les passions chez Le Brun n’ont pas la même caractéristique que chez Dürer) ; à leur tour, ces personnages, ces scènes, ces mimiques et ces gestes incarnent des thèmes, des épisodes, des concepts (chute de Vulcain, premiers âges du monde, inconstance de l’Amour), mais selon les règles d’une typologie (au XVIe siècle, l’épée appartient à Judith, non pas à Salomé) ; enfin, ces thèmes donnent lieu (au sens strict du mot) à une sensibilité, à un système de valeurs, mais selon les règles d’une sorte de symptomatologie culturelle.

La représentation n’est pas extérieure ni indifférente à la forme. Elle est liée à elle par un fonctionnement qu’on peut décrire, à condition qu’on en discerne les niveaux et qu’on précise pour chacun d’eux le mode d’analyse qui doit lui être spécifique. Alors, l’œuvre apparaît dans son unité articulée.

La réflexion sur les formes, dont on sait l’importance aujourd’hui, c’est, après tout, l’histoire de l’art qui l’a fait naître dès le XIXe siècle. Depuis une bonne quarantaine d’années, elle avait émigré vers les régions du langage et des structures linguistiques. Or de multiples problèmes – et fort difficiles à résoudre – se posent lorsqu’on veut franchir les limites de la langue, dès l’instant même où l’on veut traiter des discours réels. Il se pourrait que l’œuvre de Panofsky vaille comme une indication, peut-être comme un modèle : elle nous apprend à analyser non plus seulement les éléments et les lois de leur combinaison, mais le fonctionnement réciproque des systèmes dans la réalité d’une culture.

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