본문 바로가기
프로젝트 7 : 미셸 푸코의 Dits et Ecrits 번역 작업/Dits et Ecrits 4권

Michel Foucault, dits et ecrits, tome II, 135. (Sur D. Byzantios)

by 상겔스 2024. 6. 26.
728x90

135. (Sur D. Byzantios) (Présentation)


Galerie Karl Flinker, Paris, 15 février 1974. (Présentation de l’exposition de D. Byzanrios c 30 dessins, 1972-1973 ».)

On pourrait imaginer que les choses se sont passées ainsi : au début, des traits portés au hasard et dans tous les sens, des énergies déchaînées. De grandes lignes de force auraient traversé la feuille de papier, n’écoutant que leur propre fureur. Le crayon du dessinateur, sa plume les auraient suivies. Puis, peu à peu, les traits devenant plus nombreux, plus pressés, s’agglutinant, se ramassant en certaines régions, de petits champs de force se seraient localisés : tourbillons, nœuds, crêtes, contours. Dessins spontanés de la limaille. Et de cet aléa aurait surgi, de place en place, la chance d’une figure : portés par cette masse d’événements au hasard, par ces milliers de forces qui s’entrecroisent, une silhouette lunaire, un profil, l’éclat d’une vitre, la roue scintillante d’une motocyclette, une veste de carnaval.

C’est tout différent. Le dessinateur a posé d’abord sur sa feuille, avec beaucoup de méticulosité, des arbres, des rues, des automobiles, des passants et, de l’autre côté des vitrines, des mannequins qui ressemblent aux passants. Cela fait, commence le vrai commencement : une pluie de traits, larges, serrés vient s’abattre sur le dessin ; il est transpercé, noyé, recouvert, englouti, perdu. Perdu ? Non pas. Ce n’est pas ici le jeu des apparitions et des disparitions.

Les figures préalables sont un support, un support-adversaire : un peu comme la toile, lisse, monochrome que le peintre commence par apprêter : à cette surface la peinture s’accroche et contre elle elle se bat. Le dessin, ici, se bat contre un dessin. Il s’acharne contre ces éléments dans lesquels en même temps il trouve son assise. Art de l’escrime et de toute stratégie : prendre appui sur son adversaire ; se reposer sur ce qu’on attaque ; trouver sa solidité dans ce qu’on cherche à abattre.

Ce n’est pas un crépuscule noyant tout, presque tout, dans son ombre. C’est l’affrontement de deux races ennemies. Ce dessin sur le dessin, contre le dessin, c’est la joute entre les différences de formes (obtenues par les lignes) et les différences de forces (établies par les traits). Combat du dessin-ligne contre le dessin-trait. D’un côté – mais faut-il dire « d’un côté », quand on est déjà en pleine mêlée ? –, les formes découpées au préalable par le dessin linéaire, et puis, de l’autre, amenés par on ne sait quelle tempête extérieure, des traits-flèches, porteurs de forces, sombres envahisseurs.

La ligne, traditionnellement, c’est l’unité, la continuité des traits, la loi qui les domine. Elle réduit leur multiplicité, soumet leur violence. Elle leur fixe un lieu, leur prescrit un ordre. Elle les empêche de vagabonder. Même si elle se cache, elle règne toujours à l’horizon du trait, qui se plie finalement à ses exigences muettes.

Ici, le dessin-ligne et le dessin-trait, bien indépendants, sont dressés l’un contre l’autre. La ligne est donnée une fois pour toutes et par avance. Elle s’intégre aux contraintes premières – le papier, son format, ses bords, sa consistance, son grain. Elle constitue le donné. C’est elle qui est le hasard-fatalité par rapport à ce qui va se dérouler par la suite : l’imprévisible bataille du dessin.

Un jeu dangereux, parce que tout y a une valeur positive. Rien n’est annulé, rien n’est effacé. Pas de triste rature.

Quand le dessinateur, à grands traits, commence la bataille contre le dessin linéaire, tous les coups sont enregistrés. Un trait étant porté, le dessinateur peut toujours en ajouter un autre, le barrer, le doubler, multiplier l’enchevêtrement. Mais la règle de son jeu lui interdit de revenir sur ce qui a été fait ; le retour au zéro est exclu. Le coup joué reste joué. Sans doute, il est permis de se servir de la gomme, mais ces coups de gomme sont faits eux-mêmes pour être visibles : frottements gris, traits légers, écrasés, pulvérisés, multipliés en un faisceau de petits sillons creux et sensibles. Tout est marque. Non pas signe de quelque chose ou d’autre chose, mais marque d’une multiplicité d’événements dont aucun ne peut plus jamais retomber dans l’inexistence. Une série, donc, sans retour ni correction ; mais des traits qui se superposent à des traits, des coups qui répondent à des coups. A la surface de cette bataille sur laquelle nous prenons une vue plongeante, le dessin devient tableau.

Paradoxe de ces dessins sombres – de ces tableaux sans couleur – où tous les éléments sont posidfs : il n’y a rien qui fasse penser au clair-obscur. Le noir, ici, n’est pas la nuit ; c’est l’intensité d’un combat. Le sombre n’est pas l’ombre, mais le lieu où s’affrontent les formes les plus vives. Les masses foncées ne ménagent pas les distances ; elles indiquent les resserrements, les affrontements, les corps à corps.

Le noir luit par sa propre force ; c’est là où il est le plus noir, où les forces lancent leurs flèches les plus drues qu’il fait jaillir de lui-même une clarté qui est comme son paroxysme. Il n’a pas besoin qu’un jour venu d’ailleurs le pénètre et l’allume : son intensité lui suffit. On est loin du jeu de la nuit avec le jour. On est dans l’éclat sombre et brillant de la bataille. Ces traits sont métalliques, comme le plomb qui les a tracés.

Règne ici le principe de l’addition indéfinie. Pas de grandeur négative. Mais pas non plus de somme. Il n’y a pas de moment où le compte est bon ; où la série serait arrivée à saturation ; où il n’y aurait plus qu’à tirer un trait et à faire le total : voici le dessin achevé. En fait, il pourrait, il peut toujours y avoir un trait de plus. Aucune loi, aucune consigne ne disent au dessinateur : ici et maintenant tu dois t’arrêter, pas un trait de plus. Il est toujours libre de continuer ; mais il y a toujours risque – et il y avait risque dès le début – que le trait soit de trop, qu’il fasse tout basculer et qu’il annule le dessin. Chaque coup porte avec lui le péril d’être négatif, parce qu’il serait en excès ; mais, après chaque trait, il y a encore le danger de s’arrêter trop tôt, de laisser un vide, d’avoir établi une barre arbitraire, d’avoir posé une limite à ce qui ne doit pas en avoir. Aucun excès, mais jamais de limite, tel est le risque.

On peut imaginer la lente, la patiente fébrilité qui s’empare du dessinateur, tout au long de cette bataille de lignes et de traits. Le premier trait peut déjà être excessif et tout faire perdre. Mais songez combien ce danger, unique au départ, se multiplie ; car chaque trait nouveau en appelle d’autres. Chacun fait place à des milliers de possibilités nouvelles. Et, en se multipliant, ils approchent de l’excès : encore un trait, et c’est trop, c’est irréparable, tout a disparu. Songez à la frénésie des traits possibles qui s’esquissent, l’envie, le besoin d’en ajouter toujours, l’excitation du hasard, et songez à la maîtrise, à la retenue, au calcul nécessaire, à l’extrême réserve aussi que suppose ce jeu sans retour.

Entre cette frénésie et cette retenue, chaque trait doit être porté comme s’il était le dernier. Et celui qui se trouve n’avoir pas de successeur ne peut jamais être le dernier que pour un moment. C’est ce moment, pourtant – ni plus ni moins ultime que les autres, mais qui porte le jeu à son plus haut point d’intensité –, que le dessinateur a choisi, à ses risques et périls, pour se détourner de son dessin, et laisser devant vous se déchaîner la bataille dans son éclat ininterrompu. Alors avancent vers vous, par l’effet d’un relief blanc, les personnages que des lignes noires avaient au départ dessinés, bien a plat, sur la surface blanche du papier.

728x90
반응형

댓글