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프로젝트 7 : 미셸 푸코의 Dits et Ecrits 번역 작업/Dits et Ecrits 4권

Michel Foucault, dits et ecrits, tome II, 154. La fête de l'écriture

by 상겔스 2024. 6. 26.
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154. La fête de l’écriture


« La fête de l’écriture » (entretien avec J. Almira et J. Le Marchand), Le Quotidien de Paris, n° 328, 25 avril 1975, p. 13. (Sur J. Almira, Voyage à Naucratis, Gallimard, Paris, 1975.)

M. Foucault : Le jour de Noël, c’est-à-dire le jour où l’on ne reçoit pas de coups de téléphone, et où d’ailleurs depuis des millénaires il ne se passe à peu près rien, je reçois un coup de téléphone de quelqu’un qui me demande si je veux bien lire un manuscrit. C’est le genre de demande qui me jette dans un abattement profond.

En général, ce sont des manuscrits qui ont été refusés un nombre incalculable de fois. J’ai donc été très réticent, très grognon. Mais il y avait quelque chose d’assez charmant dans la voix, et en même temps de merveilleusement affirmatif… Ce n’était pas quelqu’un de défait qui apportait un manuscrit vaincu. M’a fasciné cette note haute de l’affirmation dans le chant de cette voix.

J’ai passé Noël et les jours qui ont suivi à lire ce manuscrit dans 1 enthousiasme. Ce qui m’a tout de suite frappé, c’est la prodigieuse joie qui traversait l’écriture. Rien de cette gêne, de cette fausse honte, de cette morale basse qu’on trouve dans un grand nombre de textes contemporains, et qui se traduit par la remise en question de l’écriture par l’écriture. Si Almira fait exploser l’écriture, c’est en éclatant de rire, par l’excès du plaisir qu’il prend à écrire.

J. Le Marchand : Lorsque vous avez reçu de Michel Foucault une « très belle lettre de mots flatteurs », cela vous a surpris ?

J. Almira : À vrai dire, je ne m’attendais pas à moins de la part de Michel Foucault. Je lui ai envoyé le Voyage parce que c’est lui qui devait le lire le premier.

M. Foucault : Ce qui m’a plu dans ce roman, c’est la manière qu’il a d’habiter sereinement l’écriture au moment même où l’auteur prend en main les oripeaux de l’écrivain. Ses références à Flaubert et à Madame Bovary ont sans doute cette signification. C’est la fête de la littérature, mais c’est le carnaval des écrivains.

J. Le Marchand : Vous avez mis six ans, je crois, à écrire votre livre. Lorsqu’à dix-neuf ans vous avez tracé les premières lignes, aviez-vous une idée générale de ce que vous vouliez faire, de ce que serait votre livre ?

J. Almira : J’ai commencé par colliger et mettre ensemble les notes que je prenais. Peu à peu, une structure, très vague d’abord, puis plus précise, s’est imposée tout doucement.

J. Le Marchand : Vous avez découvert votre livre à mesure…

J. Almira : À mesure qu’il se faisait, dans un lent processus de sédimentation jour après jour. Je n’ai jamais eu de « projet ». Le livre s’est installé peu à peu de force ; il s’est imposé à moi-même. Je faisais, je défaisais, puis un plan s’est mis au jour comme un monument enseveli que j’aurais exhumé. Une fois terminé, je l’ai écrit. Je l’ai recomposé entièrement l’année dernière.

Al. Foucault : Et vous avez encore rajouté sur les placards des dizaines et des dizaines de pages. Vous pourriez peut-être nous parler de ce mouvement de prolifération qui me paraît être chez vous une modalité de travail.

J. Almira : À partir du moment où il n’y avait pas d’histoire univoque, d’affabulation – comme chez Balzac, comme chez Zola – qui permet de prévoir tout ce qui va se passer, à laquelle on assujettit le flux du discours, tout pouvait s’imposer, c’était comme une plaie ouverte sur laquelle pouvaient se brancher toutes sortes de possibles dont je n’avais aucune connaissance préalable.

J. Le Marchand : C’est le livre qui vous a fait écrire plutôt que c’est vous qui avez écrit le livre. Comment écrivez-vous ? Vous attendez l’inspiration ? Vous vous mettez à votre table, délibérément ?

J. Almira : Oui, souvent avec déplaisir. Et puis, au bout d’une heure, le plaisir commence à venir. J’écris très calmement. Les passages qui apparaissent comme du délire à la lecture m’ont demandé souvent beaucoup de travail. Pour les mettre en scène, j’étais fort loin du délire et souvent très près de l’exaspération que cause un travail difficile. Je ne crois pas avoir écrit une seule page qui n’ait ensuite été refaite mainte et mainte fois en regard de certains préceptes de Paul Valéry, avec la rigueur d’un homme de science.

J’ai travaillé à mon livre quatre ou cinq heures par jour pendant six ans ; c’est vous dire la mesure de ma spontanéité !

J. Le Marchand : Quels sont les auteurs les plus près de votre cœur ?

J. Almira : Ceux que j’ai lus avec le plus de plaisir : Zola, Joyce, Maupassant, Mandiargues, Borgès, Proust, Kafka, Roussel et tous ceux que j’oublie de citer.

M. Foucault : En réalité, Roussel est pour lui très important. On n’y pense pas tout de suite, mais on s’aperçoit ensuite que c’est un livre prodigieusement roussélien. Avec des procédés de construction qui ne sont pas ceux de Roussel, mais qui obéissent à un certain nombre de lois de déplacement, de dédoublement, de recombinaison. Il y a toute une machinerie sous l’apparence de graphorrée. Bien sûr, lorsqu’il emploie le mot de graphorrée pour désigner ce qu’il fait, c’est d’une manière purement ironique, pour se moquer de ceux qui l’en accuseront.

J. Le Marchand : Les articles qui ont paru sur votre livre vous ont-ils déçu ?

J. Almira : Pas le moins du monde. Tous les journaux ont publié des articles importants et très publicitaires. Aucun ne s’est contenté d’une note de quelques lignes.

Al. Foucault : En effet, ceux-là mêmes qui ont voulu démolir le livre, qui ont voulu empêcher qu’on le lise ont été obligés de lui consacrer de longues pages. L’importance du livre a été marquée par cette danse du scalp immédiate.

J. Le Marchand : Vous avez un second livre en préparation ?

J. Admira : En chantier, oui, je l’ai commencé avant que celui-ci ne soit publié. Je ne sais si je le finirai, mais il me permet d’avoir une certaine distance avec ce qui peut entourer la parution du Voyage. Il est loin d’être fini. Disons qu’il est possible.

J. Le Marchand : Est-ce que vous lisez beaucoup d’auteurs contemporains, Michel Foucault ?

M. Foucault : Peu. J’ai lu beaucoup de ce qu’on appelle « la littérature », autrefois. J’ai rejeté finalement un grand nombre par incapacité, parce que je n’avais pas sans doute le bon code pour lire. Maintenant, des livres émergent comme Au-dessous du volcan, Le Rivage des Syrtes. Un écrivain que j’aime bien, c’est Jean Demelier ; Le Livre de Job m’a beaucoup frappé. Aussi les livres de Tony Duvert. Au fond, pour les gens de ma génération, la grande littérature, c’était la littérature américaine, c’était Faulkner. Il est vraisemblable que de n’avoir accès à la littérature contemporaine que par une littérature étrangère, à la source de laquelle on ne pouvait jamais remonter, introduit une espèce de distance par rapport à la littérature. La littérature, c’était la Grande Etrangère.

J. Le Marchand : Il me semble qu’à la différence de J.-M. G. Le Clézio, auquel on vous a comparé un peu facilement, vous ne cherchez pas à « donner à voir » le monde extérieur ?

J. Almira : Je le décris, je le formule, je l’inventorie, je l’invente. Je pense que, si j’avais vraiment voulu donner à voir, j’aurais peint ou j’aurais pris une caméra.

M. Foucault : Je dirais que Jacques Almira fabrique plutôt des choses à voir. Avec des mots, des phrases, il décompose, il recompose, il bâtit, et brusquement vous avez un geste, un visage, un masque, un parfum.

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