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프로젝트 7 : 미셸 푸코의 Dits et Ecrits 번역 작업/Dits et Ecrits 1권

Michel Foucault, dits et ecrits, tome I, 035. À la recherche du présent perdu

by 상겔스 2024. 6. 25.
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35 À la recherche du présent perdu


« À la recherche du présent perdu », L’Express, n° 775, 25 avril – 1° mai 1966, pp. 114-115. (Sur J. Thibaudeau, Ouverture, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Tel quel », 1966.)

Thibaudeau a écrit Ouverture six ans après Une cérémonie royale. Entre ces deux dates, une certaine part de l’expérience littéraire a changé.

Le récit d’Une cérémonie royale obéissait à la loi d’une disposition circulaire, où les figures revenaient, où les gestes se répétaient presque identiques – à une vibration près. Un défilé de cavaliers et de carrosses tournait en rond, revenant à son point de départ, évoluant comme des chevaux de bois autour d’un axe à la fois présent et absent, passé et futur : un attentat réel, imaginaire, invisible et sans cesse raconté nouait et dénouait inlassablement l’ordre de la cérémonie : discontinuité de l’identique. Un peu comme dans Le Voyeur ou La Jalousie, le récit s’organisait par fragments autour d’une plage laissée blanche : celle où résidaient jadis le « héros » ou l’« événement » du récit classique.

En apparence, le nouveau texte de Thibaudeau est soumis à la même figure de la répétition brisée. Et pourtant, c’est une tout autre expérience du langage qui s’y dessine. Au fond de son lit, un homme s’éveille, soulève ses paupières, se laisse envahir par la lumière du jour. Moment neuf, ouverture première ; et pourtant, déjà, le temps a basculé, est passé tout entier dans cet instant d’avant qui n’existait pas encore ; il a transformé l’éveil en une crête escarpée au sommet de la nuit : « Plus tard, je suis surpris, j’ouvre les yeux », dit déjà la première phrase du texte.

Et la dernière (à la fin de la journée, quand le sommeil va venir et que le corps se replie sous les draps) : « J’attends. » Tout le roman de Thibaudeau se déploie entre ces deux instants dont les pouvoirs familiers sont ici inversés : le matin s’ouvre sur un passé qui le rend tardif, le soir n’offre que l’identité des répétitions à venir.

Ouverture, comme on dit ouverture des yeux ou encore ouverture d’un opéra. Il ne faut pas s’y tromper. Cet homme, qui du matin au soir va demeurer à l’abri de ses rideaux, peut bien voir remonter, du creux de sa mémoire, toutes ses images passées (enfant au temps de l’école, gamin en vacances, adolescent, amant) : il ne fait point le récit du temps retrouvé, mais celui du présent continu. Le présent, dans le roman de Thibaudeau, ce n’est pas ce qui ramasse le temps en un point pour offrir un passé restitué et scintillant ; c’est, au contraire, ce qui ouvre le temps sur une irréparable dispersion.

Comme si cette place vide autour de laquelle tournait la Cérémonie royale était réoccupée maintenant par un « je » et par un « présent ». Non pas le vieux sujet qui se souvient, mais un « je » destructeur et rongeant, un présent ruiné, débordant, défait, ineffaçable : coin de nuit enfoncé dans le jour et autour duquel se rameutent et se dispersent lumières, distances, images.

À la discontinuité des choses vues par fragments répétés se substitue la continuité d’un sujet que son présent déverse sans cesse hors de lui-même, mais qui circule sans heurt dans sa propre épaisseur dispersée. À travers les changements de chronologie, d’échelle, de personnages, une identité se maintient par où les choses communiquent. De là vient que le texte de Thibaudeau semble un grand et beau tissu métaphorique (le passage, par exemple, où le chanteur sur la scène devient langue dans la bouche).

Mais la métaphore, ici, n’est pas le rapprochement des choses dans la lumière de l’imagination ; c’est la dispersion de l’obscur et central présent, du « je » nocturne, bavard, écrivant dans l’égaillement des choses. La métaphore déplace le sujet à l’intérieur de ce qu’il dit et trace les corridors de son incessante mobilité.

Le texte de Thibaudeau forme une très subtile architecture de paragraphes inachevés, de phrases interrompues, de lignes qui demeurent en suspens sur le blanc du papier, de parenthèses ouvertes et jamais refermées, de seuils qu’on franchit d’un bond, de portes qui battent, de portails auxquels on revient et qui marquent le départ. À chaque instant les phrases, à chaque instant les images coulissent les unes sur les autres, s’évasant sur de nouveaux lointains, qu’elles accueillent de leur courbe largement ouverte. La parole, en son présent de nuit, ouvre indéfiniment les lèvres du temps.

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