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프로젝트 7 : 미셸 푸코의 Dits et Ecrits 번역 작업/Dits et Ecrits 1권

Michel Foucault, dits et ecrits, tome I, 036. L'arrière-fable

by 상겔스 2024. 6. 25.
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36 L’arrière-fable


« L’arrière-fable », L’Arc, n° 29 : Jules Verne, mai 1966, pp. 5-12.

En toute œuvre qui a forme de récit, il faut distinguer fable et fiction. Fable, ce qui est raconté (épisodes, personnages, fonctions qu’ils exercent dans le récit, événements). Fiction, le régime du récit ou plutôt les divers régimes selon lesquels il est « récité » : posture du narrateur à l’égard de ce qu’il raconte (selon qu’il fait partie de l’aventure, ou qu’il la contemple comme un spectateur légèrement en retrait, ou qu’il en est exclu et qu’il la surprend de l’extérieur), présence ou absence d’un regard neutre qui parcourt les choses et les gens, en assurant une description objective ; engagement de tout le récit dans la perspective d’un personnage ou de plusieurs successivement ou d’aucun en particulier ; discours répétant les événements après coup ou les doublant à mesure qu’ils se déroulent, etc. La fable est faite d’éléments placés dans un certain ordre. La fiction, c’est la trame des rapports établis, à travers le discours lui-même, entre celui qui parle et ce dont il parle. Fiction, « aspect » de la fable.

Quand on parle réellement, on peut bien dire des choses « fabuleuses » : le triangle dessiné par le sujet parlant, son discours et ce qu’il raconte est déterminé de l’extérieur par la situation : pas de fiction. Dans cet analogon de discours qu’est une œuvre, ce rapport ne peut s’établir qu’à l’intérieur de l’acte même de parole ; ce qui est raconté doit indiquer, à lui seul, qui parle et à quelle distance et selon quelle perspective et en utilisant quel mode de discours. L’œuvre se définit moins par les éléments de la fable ou leur ordonnance que par les modes de la fiction, indiqués comme de biais par l’énoncé même de la fable. La fable d’un récit se loge à l’intérieur des possibilités mythiques de la culture ; son écriture se loge à l’intérieur des possibilités de la langue ; sa fiction, à l’intérieur des possibilités de l’acte de parole.

Aucune époque n’a utilisé simultanément tous les modes de fiction qu’on peut définir dans l’abstrait ; on en exclut toujours certains qu’on traite en parasites ; d’autres, en revanche, sont privilégiés et définissent une norme. Le discours de l’auteur, interrompant son récit et levant les yeux de son texte pour faire appel au lecteur, le convoquer comme juge ou témoin de ce qui se passe, était fréquent au XVIIIe siècle ; il a presque disparu au cours du siècle dernier. En revanche, le discours lié à l’acte d’écrire, contemporain de son déroulement et enfermé en lui a fait son apparition depuis moins d’un siècle. Peut-être a-t-il exercé une très forte tyrannie, bannissant sous l’accusation de naïveté, d’artifice ou de réalisme fruste toute fiction qui n’aurait pas son lieu dans le discours d’un sujet unique, et dans le geste même de son écriture.

Depuis que de nouveaux modes de la fiction ont été admis dans l’œuvre littéraire (langage neutre parlant tout seul et sans lieu, dans un murmure ininterrompu, paroles étrangères faisant irruption de l’extérieur, marqueterie de discours ayant chacun un mode différent), il redevient possible de lire, selon leur architecture propre, des textes qui, peuplés de « discours parasites », avaient été pour cela même chassés de la littérature.

*

Les récits de Jules Verne sont merveilleusement pleins de ces discontinuités dans le mode de la fiction. Sans cesse, le rapport établi entre narrateur, discours et fable se dénoue et se reconstitue selon un nouveau dessin. Le texte qui raconte à chaque instant se rompt ; il change de signe, s’inverse, prend distance, vient d’ailleurs et comme d’une autre voix. Des parleurs, surgis on ne sait d’où, s’introduisent, font taire ceux qui les précédaient, tiennent un instant leur discours propre, et puis, soudain, cèdent la parole à un autre de ces visages anonymes, de ces silhouettes grises. Organisation toute contraire à celle des Mille et Une Nuits : là, chaque récit, même s’il est rapporté par un tiers, est fait – fictivement – par celui qui a vécu l’histoire ; à chaque fable sa voix, à chaque voix une fable nouvelle ; toute la « fiction » consiste dans le mouvement par lequel un personnage se déboîte de la fable à laquelle il appartient et devient récitant de la fable suivante. Chez Jules Verne, une seule fable par roman, mais racontée par des voix différentes, enchevêtrées, obscures, et en contestation les unes avec les autres.

Derrière les personnages de la fable – ceux qu’on voit, qui ont un nom, qui dialoguent et à qui il arrive des aventures – règne tout un théâtre d’ombres, avec ses rivalités et ses luttes nocturnes, ses joutes et ses triomphes. Des voix sans corps se battent pour raconter la fable.

1) Tout à côté des personnages principaux[208], partageant leur familiarité, connaissant leur visage, leurs habitudes, leur état civil, mais aussi leurs pensées et les plis secrets de leur caractère, écoutant leurs répliques, mais éprouvant leurs sentiments comme de l’intérieur, une ombre parle. Elle est logée à la même enseigne que les personnages essentiels, voit les choses comme eux, partage leurs aventures, s’inquiète avec eux de ce qui va arriver. C’est elle qui transforme l’aventure en récit. Ce récitant a beau être doué de grands pouvoirs, il a ses limites et ses contraintes : il s’est glissé dans le boulet lunaire, avec Ardan, Barbicane et Nicholl, et pourtant il y a des séances secrètes du Gun-Club auxquelles il n’a pu assister. Est-ce le même récitant, est-ce un autre qui est ici et là, à Baltimore et au Kilimandjaro, dans la fusée sidérale, à terre et dans la sonde sous-marine ? Faut-il admettre tout au long du récit une sorte de personnage en trop, errant continuellement dans les limbes de la narration, une silhouette creuse qui aurait don d’ubiquité ? Ou bien supposer, en chaque lieu, pour chaque groupe de personnes, des génies attentifs, singuliers et bavards ? En tout cas, ces figures d’ombre sont au premier rang de l’invisibilité : il s’en faut de peu qu’elles ne soient personnages véritables.

2) En retrait de ces « récitants » intimes, des figures plus discrètes, plus furtives prononcent le discours qui raconte leurs mouvements ou indique le passage de l’une à l’autre. « Ce soir, disent ces voix, un étranger qui se fût trouvé à Baltimore n’eût pas obtenu, même à prix d’or, de pénétrer dans la grande salle… » ; et pourtant, un invisible étranger (un récitant de niveau 1) a tout de même pu franchir les portes et faire le récit des enchères « comme s’il y était ». Ce sont de telles voix encore qui font passer la parole d’un récitant à un autre, assurant ainsi le jeu de furet du discours. « Si l’honorable M. Maston n’entendit pas les hourras poussés en son honneur » (on vient de l’acclamer dans l’obus gigantesque), « du moins, les oreilles lui tintèrent » (et le tenant du discours vient se loger maintenant à Baltimore).

3) Plus extérieur encore aux formes visibles de la fable, un discours la ressaisit dans sa totalité et la rapporte à un autre système de récit, à une chronologie objective ou, en tout cas, à un temps qui est celui du lecteur lui-même. Cette voix entièrement « hors fable » indique les repères historiques (« Pendant la guerre fédérale, un nouveau club très influent… ») ; elle rappelle les autres récits déjà publiés par J. Verne sur un sujet analogue (elle pousse même l’exactitude, dans une note de Sans dessus dessous, à faire le partage entre les vraies expéditions polaires et celle racontée dans Le Désert de glace) ; il lui arrive aussi de ranimer au long du récit la mémoire du lecteur (« On se souvient que… »). Cette voix est celle du récitant absolu : la première personne de l’écrivain (mais neutralisée), notant dans les marges de son récit ce qu’il est nécessaire de savoir pour l’utiliser aisément.

4) Derrière lui, et encore plus lointaine, une autre voix s’élève de temps en temps. Elle conteste le récit, en souligne les invraisemblances, montre tout ce qu’il y aurait d’impossible. Mais elle répond aussitôt à cette contestation qu’elle a fait naître. Ne croyez pas, dit-elle, qu’il faut être insensé pour entreprendre une pareille aventure : « Elle n’étonnera personne : les Yankees, premiers mécaniciens du monde… » Les personnages enfermés dans la fusée lunaire sont pris d’étranges malaises ; ne soyez pas surpris : « C’est que, depuis une douzaine d’heures, l’atmosphère du boulet s’était chargée de ce gaz absolument délétère, produit définitif de la combustion du sang. » Et, par précaution supplémentaire, cette voix justificatrice pose elle-même les problèmes qu’elle doit dénouer : « On s’étonnera peut-être de voir Barbicane et ses compagnons si peu soucieux de l’avenir… »

5) Il existe un dernier mode de discours encore plus extérieur. Voix tout à fait blanche, articulée par personne, sans support ni point d’origine, venant d’un ailleurs indéterminé et surgissant à l’intérieur du texte par un acte de pure irruption. Du langage anonyme déposé là par grandes plaques. Du discours immigrant. Or ce discours est toujours un discours savant. Certes, il y a bien de longues dissertations scientifiques dans les dialogues, ou exposés, ou lettres ou télégrammes attribués aux divers personnages ; mais elles ne sont pas dans cette position d’extériorité qui marque les fragments d’« information automatique », par lesquels le récit, de temps en temps, est interrompu. Tableau des horaires simultanés dans les principales villes du monde ; tableau en trois colonnes indiquant le nom, la situation et la hauteur des grands massifs montagneux de la Lune ; mensurations de la Terre introduites par cette toute simple formule : « Qu’on en juge par les chiffres suivants… » Déposées là par une voix qu’on ne peut assigner, ces moraines du savoir demeurent à la limite externe du récit.

*

Il faudrait étudier pour elles-mêmes, dans leur jeu et dans leurs luttes, ces voix de l’arrière-fable, dont l’échange dessine la trame de la fiction. Limitons-nous à la dernière.

Il est étrange que dans ces « romans scientifiques » le discours savant vienne d’ailleurs, comme un langage rapporté. Étrange qu’il parle tout seul dans une rumeur anonyme. Étrange qu’il apparaisse sous les espèces de fragments irruptifs et autonomes. Or l’analyse de la fable révèle la même disposition, comme si elle reproduisait, dans le rapport des personnages, l’enchevêtrement des discours qui en racontent les aventures imaginaires.

1) Dans les romans de Jules Verne, le savant demeure en marge. Ce n’est pas à lui qu’advient l’aventure, pas lui du moins qui en est le héros principal. Il formule des connaissances, déploie un savoir, énonce les possibilités et les limites, observe les résultats, attend, dans le calme, de constater qu’il a dit vrai et que le savoir ne s’est pas trompé en lui. Maston a fait toutes les opérations, mais ce n’est pas lui qui va dans la Lune ; ce n’est pas lui qui va tirer le canon du Kilimandjaro. Cylindre enregistreur, il déroule un savoir déjà constitué, obéit aux impulsions, fonctionne tout seul dans le secret de son automatisme, et produit des résultats. Le savant ne découvre pas ; il est celui en qui le savoir s’est inscrit : grimoire lisse d’une science faite ailleurs. Dans Hector Servadac, le savant n’est qu’une pierre d’inscription : il s’appelle justement Palmyrin Rosette.

2) Le savant de Jules Verne est un pur intermédiaire. Arithméticien, il mesure, multiplie et divise (comme Maston ou Rosette) ; technicien pur, il utilise et construit (comme Schultze ou Camaret). C’est un homo calculator, rien de plus qu’un méticuleux « p R 2 ». Voilà la raison pour laquelle il est distrait, non seulement de cette insouciance prêtée par la tradition aux savants, mais d’une distraction plus profonde : en retrait du monde et de l’aventure, il arithmétise ; en retrait du savoir inventif, il le chiffre et le déchiffre. Ce qui l’expose à toutes ces distractions accidentelles qui manifestent son être profondément abstrait.

3) Le savant est toujours placé dans le lieu du défaut. Au pire, il incarne le mal (Face au drapeau) ; ou bien, il le permet sans le vouloir ni le voir (L’Étonnante Aventure de la mission Barsac) ; ou bien, c’est un exilé (Robert) ; ou bien, c’est un doux maniaque (comme le sont les artilleurs du Gun-Club) ; ou bien, s’il est sympathique et tout près d’être un héros positif, alors c’est dans ses calculs mêmes que surgit l’accroc (Maston se trompe en recopiant les mensurations de la Terre). De toute façon, le savant est celui à qui il manque quelque chose (le crâne fêlé, le bras artificiel du secrétaire du Gun-Club le proclament assez). De là, un principe général : savoir et défaut sont liés ; et une loi de proportionnalité : moins le savant se trompe, plus il est pervers, ou dément, ou étranger au monde (Camaret) ; plus il est positif, plus il se trompe (Maston, comme son nom l’indique et comme l’histoire le montre, n’est qu’un tissu d’erreurs : il s’est trompé sur les masses, quand il s’est mis à rechercher au fond de la mer la fusée qui flottait ; et sur les tonnes, quand il a voulu calculer le poids de la terre). La science ne parle que dans un espace vide.

4) En face du savant, le héros positif est l’ignorance même. Dans certains cas (Michel Ardan), il se glisse dans l’aventure que le savoir autorise, et, s’il pénètre dans l’espace ménagé par le calcul, c’est comme dans une espèce de jeu : pour voir. Dans d’autres cas, il tombe involontairement dans le piège tendu. Certes, il apprend au fil des épisodes ; mais son rôle n’est jamais d’acquérir ce savoir et d’en devenir à son tour maître et possesseur. Ou bien, pur témoin, il est là pour raconter ce qu’il a vu ; ou bien, sa fonction est de détruire et d’effacer jusqu’aux traces de l’infernal savoir (c’est le cas de Jane Buxton dans L’Étonnante Aventure de la mission Barsac). Et à y regarder de près, les deux fonctions se rejoignent : il s’agit, dans les deux cas, de réduire la (fabuleuse) réalité à la pure (et fictive) vérité d’un récit. Maston, le savant innocent, aidé par l’innocente et ignare Evangelina Scorbitt, est celui dont la « fêlure » à la fois rend possible l’impossible entreprise et cependant la voue à l’échec, l’efface de la réalité pour l’offrir à la vaine fiction du récit.

Il faut remarquer qu’en général les grands calculateurs de Jules Verne se donnent ou reçoivent une tâche fort précise : empêcher que le monde ne s’arrête par l’effet d’un équilibre qui lui serait mortel ; retrouver des sources d’énergie, découvrir le foyer central, prévoir une colonisation planétaire, échapper à la monotonie du règne humain. Bref, il s’agit de lutter contre l’entropie. De là (si on passe du niveau de la fable à celui de la thématique), l’obstination avec laquelle reviennent les aventures du chaud et du froid, de la glace et du volcan, des planètes incendiées et des astres morts, des altitudes et des profondeurs, de l’énergie qui propulse et du mouvement qui retombe. Sans cesse, contre le monde le plus probable – monde neutre, blanc, homogène, anonyme –, le calculateur (génial, fou, méchant ou distrait) permet de découvrir un foyer ardent qui assure le déséquilibre et garantit le monde contre la mort. La faille où se loge le calculateur, l’accroc que sa déraison ou son erreur ménage sur la grande surface du savoir précipitent la vérité dans le fabuleux événement où elle devient visible, où les énergies de nouveau se répandent à profusion, où le monde est rendu à une nouvelle jeunesse, où toutes les ardeurs flamboient et illuminent la nuit. Jusqu’à l’instant (infiniment proche du premier) où l’erreur se dissipe, où la folie se supprime elle-même, et où la vérité est rendue à son moutonnement trop probable, à son indéfinie rumeur.

On peut saisir maintenant la cohérence entre les modes de la fiction, les formes de la fable et le contenu des thèmes. Le grand jeu d’ombres qui se déroulait derrière la fable, c’était la lutte entre la probabilité neutre du discours scientifique (cette voix anonyme, monocorde, lisse, venant on ne sait d’où et qui s’insérait dans la fiction, lui imposant la certitude de sa vérité) et la naissance, le triomphe et la mort des discours improbables en qui s’esquissaient, en qui disparaissaient aussi les figures de la fable. Contre les vérités scientifiques et brisant leur voix glacée, les discours de la fiction remontaient sans cesse vers la plus grande improbabilité. Au-dessus de ce murmure monotone en qui s’énonçait la fin du monde, ils faisaient fuser l’ardeur asymétrique de la chance, de l’invraisemblable hasard, de la déraison impatiente. Les romans de Jules Verne, c’est la négentropie du savoir. Non pas la science devenue récréative ; mais la re-création à partir du discours uniforme de la science.

Cette fonction du discours scientifique (murmure qu’il faut rendre à son improbabilité) fait penser au rôle que Roussel assignait aux phrases qu’il trouvait toutes faites, et qu’il brisait, pulvérisait, secouait, pour en faire jaillir la miraculeuse étrangeté du récit impossible. Ce qui restitue à la rumeur du langage le déséquilibre de ses pouvoirs souverains, ce n’est pas le savoir (toujours de plus en plus probable), ce n’est pas la fable (qui a ses formes obligées), c’est, entre les deux, et comme dans une invisibilité de limbes, les jeux ardents de la fiction.

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Par leurs thèmes et leur fable, les récits de Jules Verne sont tout proches des romans d’« initiation » ou de « formation ». Par la fiction, ils en sont aux antipodes. Sans doute, le héros naïf traverse ses propres aventures comme autant d’épreuves marquées par les événements rituels : purification du feu, mort glacée, voyage à travers une région dangereuse, montée et descente, passage au point ultime d’où il ne devrait pas être possible de revenir, retour quasi miraculeux au point de départ. Mais, de plus, toute initiation ou toute formation obéit régulièrement à la double loi de la déception et de la métamorphose. Le héros est venu chercher une vérité qu’il connaissait de loin et qui scintillait pour ses yeux innocents. Cette vérité, il ne la trouve pas, car elle était celle de son désir ou de sa vaine curiosité ; en revanche, une réalité qu’il ne soupçonnait pas s’est révélée à lui, plus profonde, plus réticente, plus belle ou plus sombre que celle dont il était familier : cette réalité, c’est lui-même et le monde transfigurés l’un pour l’autre ; charbon et diamant ont échangé leur noirceur, leur éclat. Les Voyages de Jules Verne obéissent à une loi tout opposée : une vérité se déroule, selon ses lois autonomes, sous les yeux étonnés des ignorants, blasés de ceux qui savent. Cette nappe lisse, ce discours sans sujet parlant serait resté dans sa retraite essentielle, si l’« écart » du savant (son défaut, sa méchanceté, sa distraction, l’accroc qu’il forme dans le monde) ne l’avait provoqué à se montrer. Grâce à cette mince fissure, les personnages traversent un monde de vérité qui demeure indifférent, et qui se referme sur soi aussitôt qu’ils sont passés. Quand ils reviennent, ils ont vu et appris, certes, mais rien n’est changé, ni sur le visage du monde ni dans la profondeur de leur être. L’aventure n’a laissé aucune cicatrice. Et le savant « distrait » se retire dans l’essentielle retraite du savoir. « Par la volonté de son auteur, l’œuvre de Camaret était morte tout entière et rien ne transmettrait aux âges futurs le nom de l’inventeur génial et dément. » Les voix multiples de la fiction se résorbent dans le murmure sans corps de la science ; et les grandes ondulations du plus probable effacent de leur sable infini les arêtes du plus improbable. Et cela jusqu’à la disparition et à la réapparition probables de toute la science, que Jules Verne promet, au moment de sa mort, dans L’Éternel Adam.

« Mademoiselle Mornas a une façon à elle de vous aborder par un Ini-tié (bonjour), je ne vous dis que ça. » Mais au sens où on dit : Initié, bonsoir.

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